17 Janvier 2023
J’ai participé jeudi à une journée de formation préalable à la lutte contre les abus, proposée par le Pôle provincial de lutte et de prévention des abus et le Service diocésain de la formation de Toulouse. Je partage quelques éléments de cette journée.
Mgr Thibault VERNY a donné un état des lieux des structures et accompagnements mis en place depuis une vingtaine d’années, avec un coup d’accélérateur depuis la parution du rapport de la CIASE. Il a évoqué le besoin de s’entourer de spécialistes laïcs, médecins, psychologues, juristes, formés à l’écoute. Il a rappelé sans faux-semblant combien l’institution ecclésiale avait sa part de responsabilités. Il a aussi insisté sur la nécessité d’affronter les révélations qui secouent l’Eglise de France : il est normal que les « affaires sortent » ; pour lui, elles sont le signe que le travail se fait, que la chape de silence se fissure. Il n’est pas possible de « tourner la page », tant que toutes les victimes n’auront pas été entendues et accompagnées. L’Eglise doit être dans l’humilité, ne pas « se pencher sur », mais « marcher avec ». Protéger les plus fragiles, c’est une mission d’évangile.
Mme Véronique GARNIER-BEAUVIER a livré un témoignage bouleversant des conséquences des abus qu’elle a subi dans l’enfance. Toute son existence, son couple, sa relation à ses enfants et à l’Eglise, est conditionnée par cette blessure. Le trauma apparait dans des moments inattendus, la plongeant dans la détresse et faisant remonter à la surface des souvenirs douloureux. Comment parler d’un Dieu père qui protège alors que son père à elle n’a rien fait ? Comment parler d’un Dieu tout puissant alors qu’Il ne l’a pas protégée ? Par la prière et l’accompagnement ignatien, elle réussit à relire son histoire, et à la pacifier : Dieu souffrait avec elle, et ne pouvait rien : on l’avait kidnappée à Son amour. Comment vivre l’eucharistie en paix, quand la communion lui a été donnée pendant 7 ans par ceux qui l’abusaient ? L’humilité de sa parole et sa volonté de purifier sa relation à Dieu malgré la salissure imposée par deux de ses prêtres m’ont beaucoup touchée.
Le Dr. Jean-Paul PEREZ a expliqué le psychotraumatisme, ses manifestations et ses conséquences. Le corps et le cerveau, à cause de l’amygdale, réagissent en cas de traumatisme par une sidération psychique et une inertie physique. Elle rend impossible toute réaction : c’est un phénomène physique, pas psychologique. Cette intervention et les témoignages vidéos d’une victime de viol et d’une médecin psychiatre spécialisée dans l’accompagnement des victimes d’abus, étaient dures à écouter et très ancrées dans le réel. Je pense qu’elles ont permis aux participants de mieux comprendre la difficulté voire l’impossibilité de témoigner pour les victimes car la sidération entraîne une dissociation, qui peut durer : la victime ne se « rappelle pas » (amnésie traumatique), les proches ne voient pas le traumatisme (ce qui interroge sur la notion de prescription, totalement inadaptée). Cette intervention a aussi permis de percevoir les conséquences d’un abus sur le long terme, avec les stratégies d’évitement que les victimes peuvent développer, comme l’isolement absolu ou les addictions (alcool, drogues, pornographie).
Nous avons écouté une interview en différé de Hans ZOLLNER, membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs « Tutela Minorum ». Il a présenté les situations d’abus aux Etats-Unis et en Allemagne, qui sont révélatrices du caractère systémique du silence entretenu autour des scandales. Pour lui, il y a deux crises : les abus ET la gestion des abus. Cela a entraîné une désillusion du peuple de Dieu, une perte de confiance. Il a insisté sur la nécessité pour l’Eglise de s’entourer d’experts non-clercs et a rappelé que l’Eglise n’échappe pas à la loi étatique. Il faut un changement de mentalité, il faut continuer à écouter les victimes tout en étudiant les pratiques ecclésiales. Il a salué le travail mené par les évêques de France pour écouter les victimes, accompagner leur réparation, et « purifier » l’institution.
Enfin, Xavier D’ARODES, coordinateur du Pôle provincial de lutte et de prévention des abus, a évoqué la pyramide des risques qui aboutit aux abus sexuels sur mineurs et personnes vulnérables, et qui passe par des manquements aux règles, puis des abus d’autorité et des abus spirituels. Il a rappelé l’existence de formations plus spécifiques pour les acteurs de terrain et les circuits pour faire des signalements ou demander conseil.
Dans l’assemblée étaient présents plus de deux cents laïcs, prêtres, religieux et religieuses, séminaristes et évêques, venus de toute la province (Albi, Auch, St Gaudens…). Cette mobilisation et l’intérêt porté à ce thème étaient déjà des témoins de la volonté de chacun d’œuvrer « pour que l’Eglise soit une maison sûre pour tous ».
Je retiens de cette journée dense en émotions et en informations, que l’Eglise doit s’ouvrir, accepter les compétences des laïcs, modifier sa gouvernance et être plus que jamais à l’écoute de l’autre, le petit, notre frère en Christ. C’est un signe d’espoir…
Laure Valax